Selon les principes historiques, la monnaie est un attribut de la souveraineté, et doit correspondre à des valeurs matérielles correspondantes (d’où l’importance du poids métallique de la pièce avec sa valeur faciale). Toutefois, après la transformation du métal précieux en cellulose, on a allégrement poursuivi la transformation de la monnaie cellulose en supprimant la convertibilité au taux fixe en or, et même rendu celle-ci tout à fait virtuelle (votre argent n’est qu’une ligne dans des programmes informatiques).
Quand l’or devient papier avant d’être du vent…
Cette dégénérescence de la monnaie permet à certains Etats de financer leur déficit à bon compte et la planche à billets a allègrement tourné dans tous les grands pays et continue de le faire aujourd’hui (cf. fonds COVID qui n’ont aucune contrepartie réelle) et cela le sera jusqu’à ce qu’une crise majeure survienne qui aura pour corollaire un appauvrissement des populations soudain et brutal.
Face à cette situation, il a été inventé des monnaies (« coins ») crées à partir de calculs informatiques (cf. « bit »), dont la plus connue est le bitcoin, qui présentent l’avantage exceptionnel de n’être émises par aucun pays souverain, et donc de ne représenter aucune dette ou falsification politique de leur valeur.
Au cours des dernières années, ce sujet des crypto-monnaies n’a eu de cesse de prendre de l’importance, notamment du fait du Bitcoin et de son cours extrêmement évolutif, dont l’unité ne valait que 0,003 dollars américains en avril 2010, quelques centaines d’euros en 2015 et qui au cours de cette année a dépassé les 50.000 €.
Les Etats n’ont évidemment pas voulu laisser s’échapper de tels bénéfices sans les soumettre à court terme à une imposition et sans imaginer une riposte de fond à moyen terme.
L’objectif de cette note sera donc d’avoir un bref aperçu de la fiscalité liée aux crypto-monnaies, et plus spécifiquement en ce qui concerne la France et les personnes physiques en cette période de déclarations de revenus.
Rappelons qu’en lui-même, le terme cryptomonnaie fait référence au mécanisme de chiffrement de cette information chiffrée. Juridiquement, en France tout du moins, les cryptomonnaies sont comprises dans l’expression plus globale « d’actifs numériques ». Ces « monnaies » sont créées par les utilisateurs avec une « preuve de travail », autrement appelé le minage. Schématiquement, cela procède de la manière suivante : lorsqu’une transaction est émise, celle-ci est alors transmise aux différents ordinateurs qui composent le réseau, et qui valident la transaction. Pour valider la transaction, les ordinateurs effectuent un calcul. Une fois la transaction validée, chaque ordinateur ayant participé à la validation de la transaction, se voit attribuer un montant de cryptomonnaie qui est répartie au prorata de sa participation dans le calcul.
Même si ces cryptomonnaies ont un objectif commun, qui est d’être une « monnaie », cet objectif reste difficilement atteignable, notamment du fait de la nécessité de mettre en place un moyen de paiement spécifique, mais surtout que certaines de ces monnaies sont très volatiles et pourraient conduire, selon le jour de la transaction à payer le bien ou service bien plus cher que si la transaction avait été acquittée en espèce. Par ailleurs, les Etats ont tout de même une véritable réticence vis-à-vis de ces monnaies notamment car l’une de leurs particularités et qu’elles sont supposées être anonymes, or l’anonymat permet une sécurité pour les transactions, et permet donc à ce que ces monnaies servent au blanchiment d’argent ou encore au financement du terrorisme.
Il existe deux typologies de cryptomonnaies : les « classiques » (à l’instar du Bitcoin ou de l’Ethereum) ou les « stablecoins ». Les premières sont les plus connues, notamment grâce au succès du Bitcoin mais sont aussi les plus risqués. En effet, les cryptomonnaies ne sont, pour la plupart, soumises à aucune régulation ce qui fait que les cryptomonnaies « classiques » sont soumises aux aléas du marché s’agissant de leur valeur. C’est ce qui a fait que le Bitcoin a pu atteindre des sommets les années passées, et s’effondrer du jour au lendemain. Les secondes, elles ont pour objectif de répliquer la valeur d’un actif, tel que l’euro ou le dollar américain, et ce de manière virtuelle, ainsi, celles-ci ne sont pas soumises aux aléas du marché ainsi qu’à la spéculation.
La spéculation sur les cryptomonnaies peut donner lieu à des plus-values. Et ce sont ces plus-values qui peuvent faire l’objet d’une fiscalité, selon les Etats. En effet certains pays ont fait le choix de ne pas procéder à leur imposition, et ce pour favoriser les transactions dans leur pays, on retrouve ainsi par exemple : le Portugal, l’Allemagne (si la monnaie est possédée pendant plus de 12 mois), la Biélorussie ou encore la Suisse. Peu de pays sont donc favorables à l’exonération des transactions de cryptomonnaies, leur objectif étant simple : attirer les détenteurs de cryptomonnaie dans leur pays afin de les faire profiter de leur fiscalité avantageuse. On retrouve le lien monnaie – politique.
Il est bien évident que, en France, nous n’allions pas échapper à la taxation des plus-values résultant de ces transactions. Et, une fois n’est pas coutume, la France a mis en place un système de taxation qui peut s’avérer complexe à gérer pour les profanes qui voudraient se lancer dans la spéculation sur ces monnaies.
La déclaration de la plus-value est prévue au travers du cerfa 2086 qui doit être jointe à votre déclaration de revenus n° 2042. Rappelons que si vos crypto-monnaies sont détenues sur une plateforme étrangère, et quand bien même votre compte sur cette plateforme étrangère est dépourvu d’actif, celui-ci doit faire l’objet d’une déclaration n° 3916-bis auprès de l’administration fiscale.
La déclaration n° 2086, outre les informations permettant de vous identifier, permet de déclarer l’ensemble des cessions effectuées au cours de l’année fiscale. Les règles à suivre lors de la déclaration étant l’application de l’article 150 VH bis du Code général des impôts. Restant à savoir : comment est calculée la plus-value ?
L’article 150 VH bis prévoit que « La plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits mentionnés au I est égale à la différence entre, d’une part, le prix de cession et, d’autre part, le produit du prix total d’acquisition de l’ensemble du portefeuille d’actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille ».
La formule ainsi déterminée serait donc :
Plus-value = Prix de cession – (Prix total d’acquisition du portefeuille * Prix de cession / Valeur globale du portefeuille).
Si le prix de cession est facilement déterminable, la question peut se complexifier de savoir ce que sont le prix total d’acquisition du portefeuille et la valeur globale du portefeuille, ainsi que leur détermination.
La valeur globale du portefeuille est désignée par la notice de la déclaration n° 2086, comme étant « la somme des valeurs, évaluées au moment de la cession imposable, des différents actifs numériques et droits s’y rapportant, détenus par le cédant avant de procéder à la cession (…). Cette valorisation doit s’effectuer au moment de chaque cession imposable en application de l’article 150 VH bis du CGI. ».
Tandis que le prix total d’acquisition du portefeuille est « égal à la somme de tous les prix acquittés en monnaie ayant cours légal à l’occasion de l’ensemble des acquisitions d’actifs numériques (…) réalisées avant la cession, et de la valeur des biens ou services, comprenant le cas échéant les soultes versées, fournis en contrepartie de ces acquisitions ». La méthode de calcul à appliquer pour déterminer le prix total d’acquisition est donc le calcul du prix moyen pondéré.
Toutefois, une difficulté supplémentaire risque d’apparaître : que se passe-t-il en cas de cession d’une fraction du capital, lorsqu’il faudra déterminer le prix total d’acquisition lors d’une vente ultérieure ? Ce prix d’acquisition devra être minoré du de la fraction de capital déjà cédé.
Si sur la théorie tout cela peut paraître confus, un exemple pourrait éclaircir les calculs :
- Monsieur Audacieux procède aux opérations suivantes :
Achat de 10 BTC à 1 € l’unité ;
Achat de 10 BTC à 2 € l’unité ;
Cession de 10 BTC à 1,6 € l’unité ;
Cession de 10 BTC à 3 € l’unité.
- Lors de la première cession, les éléments seront donc les suivants :
Prix de cession = 10 * 1,6 € = 16 €
Prix d’achat total du portefeuille = 10 * 1 € + 10 * 2 € = 30 €
Valeur totale du portefeuille au moment de la cession = 20 * 1,6 € = 32 €
Plus-value = 16 € – (30 € * 16 € / 32 €) = 1 €
- Lors de la seconde cession, les éléments seront donc les suivants :
Prix de cession = 10 * 3 € = 30 €
Prix d’achat total du portefeuille = 30 € – (16 € – 1 €) = 15 €
Valeur totale du portefeuille au moment de la cession = 10 * 3 € = 30 €
Plus-value = 30 € – (15 € * 30 € / 30 €) = 15 €
- Ce qui nous donne à une plus-value totale de 15 € + 1 € = 16 €. Le calcul de la plus-value totale peut être validé par la formule suivante : Prix de cession total – Prix d’achat du portefeuille total = (10 * 1,6 € + 10 * 3 €) – (10 * 1 € + 10 * 2 €) = 46 € – 30 € = 16 €.
Une fois la plus-value ou moins-value déterminée, celle-ci devra donc être déclarée, non seulement dans le formulaire n° 2086 mais également dans le formulaire n° 2042-C à la ligne 3AN en cas de plus-value globale, et à la ligne 3BN en cas de moins-value globale.
Rappelons que si le total des prix de cession réalisé au niveau du foyer est inférieur ou égal à 305 €, les cessions sont exonérées et n’ont donc pas à faire l’objet du calcul de la plus-value.
S’agissant de l’imposition de la plus-value, celle-ci est soumise au prélèvement forfaitaire unique, parfois désigné sous l’appellation « flat tax » aux taux d’impôt sur le revenu à 12,8 % et au taux de prélèvements sociaux à 17,2 %. Soit une imposition globale de 30 %.
Si l’on reprend notre exemple, cela revient à 12,8 % * 16 € = 2,05 € d’impôt sur le revenu et 17,2 % * 16 € = 2,75 € de prélèvements sociaux.
En conclusion fiscale, les plus-values sur les cryptomonnaies sont donc imposées d’une manière simple, prélèvement forfaitaire unique, mais la détermination desdites plus-values peut donner lieu à des calculs complexes et fastidieux dès lors qu’un nombre conséquent de transactions peuvent avoir lieu au cours d’une même année fiscale pour une même personne. C’est pourquoi, un suivi minutieux de toutes les acquisitions et cessions de cryptomonnaies s’avère indispensable, sans quoi la détermination de la plus-value et de l’imposition résultant de ces transactions risque de devenir impossible et d’entraîner une sanction fiscale.
Toutefois si l’on examine les cryptomonnaies de manière plus globale, il faut prendre en compte des signaux d’alertes liés à leur nature même et au danger qu’elles représentent pour les Etats.
Non seulement elles sont génératrices de pollution (car il faut les « miner » c’est-à-dire les trouver grâce à des calculs qui nécessitent des puissances de calcul toujours plus importantes (ce qui fait consommer des masses d’Energie toujours plus fortes) ce qui, à contrecourant de l’évolution actuelle peut créer des rejets de cette monnaie (cf. position d’Elon Musk de se retirer du Bitcoin) mais en plus par leur nature elles sont la cible de spéculation, et enfin par leur aspect anarchique, elles gênent les Etats qui vont logiquement chercher à les faire disparaitre, par interdiction ou clonage (comme en Chine qui teste déjà le e-yuan, ou aux Etats-Unis (deux prototypes du dollar numérique sont prévus par la Réserve Fédérale et le MIT pour le deuxième semestre 2021) ou même en Europe (E-euro envisagé pour 2026)).
Notons au passage, que l’une des recherches sur les e-monnaies nationales consiste à pouvoir tracer exactement leurs emplois successifs, à la différence des crypto monnaies actuelles, Big Brother ne s’arrête jamais de progresser.
Bref, la monnaie n’a pas fini de circuler…