L’affaire Dreyfus fut l’une des instances judiciaires fondatrices de la République, elle contenait en elle-même les germes des conflits sociétaux récurrents : Plusieurs religions (Juive-Catholique), plusieurs visions sociales (Liberté – Ordre moral et institutionnel), plusieurs nationalités avec notion de trahison (France – Allemagne), plusieurs régimes politiques (République – Monarchie et Aristocratie).
Qui n’a pas vu la page du journal l’Aurore contenant le « J’accuse » d’Emile Zola ?
Ce qu’on oublie, c’est que cette affaire avait eu plusieurs remous, dont un qui a été qualifié d’affaire des fiches. Cette affaire concernait une opération de fichage aussi bien politique et religieux mis en place dans l’armée française, portant sur les officiers de l’armée. Ces fiches ayant servi à l’époque par le général Louis André, à déterminer l’avancement hiérarchique et les décorations à attribuer à ses officiers, en évinçant les officiers nationalistes et catholiques. Cette affaire qui a éclaté en 1904 a été le théâtre d’un scandale entrainant notamment la chute du gouvernement de l’époque d’Emile Combes.
Et si, cent ans plus tard, par un amusant retournement historique, cette affaire venait d’être soldée, mais dans le sens inverse ?
Le 4 décembre 2020, 3 décrets ont été publiés par le gouvernement :
-Décret n° 2020-1510 du 2 décembre 2020 modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel dénommé « Enquêtes administratives liées à la sécurité publique »
-Décret n° 2020-1511 du 2 décembre 2020 modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel dénommé « Prévention des atteintes à la sécurité publique »
-Décret n° 2020-1512 du 2 décembre 2020 modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel dénommé « Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique »
Ces décrets qui sont relativement passés inaperçus, l’actualité étant tournée vers la nouvelle loi sécurité globale, permettent désormais aux services de renseignements de recueillir un grand nombre d’informations pour les personnes pouvant porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat.
Jusqu’alors rien de très surprenant, la question des fichés S étant d’actualité depuis les attentats de Charlie Hebdo, mais du fait du nombre important de nouvelles informations qui pourront être recueillies par l’Etat, il convient de s’interroger sur qui seront réellement les personnes qui seront fichées ? Et de savoir si ce n’est pas toute la population qui finira par faire l’objet d’un fichage ?
En effet, ces nouveaux décrets permettent, outre d’enregistrer les facteurs de dangerosité, les liens avec des groupes extrémistes ou les comportements agressifs de la personne, de pouvoir enregistrer les opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale des individus visés.
Et c’est sur ce point que nous rejoignons l’affaire des fiches évoqué ci-dessus. Il est d’autant plus dangereux d’enregistrer ce genre d’informations que celles-ci seront accessibles par les agents des services de renseignements, mais également par les policiers et gendarmes, et une nouveauté est l’accès également par le procureur de la République. Le très large accès à ces données est d’autant plus inquiétant que ces informations pourront alors faire place à une discrimination fondée sur les opinions politiques, convictions philosophiques, religieuses ou selon l’appartenance syndicale.
La question se pose donc de la réelle finalité de ces fiches ? Vise-t-elle une poursuite d’unicité de pensée ? Les verrous pouvant exister, à l’instar du fait qu’il est interdit pour les personnes ayant accès à ces informations, de sélectionner une catégorie de personnes en fonction de ces seules données, vont-ils réellement être appliqués, ou à l’inverse ne sont-ils là que pour essayer de camoufler les objectifs de ces textes ?
Ces questions n’ont pas manqué d’interpeller, notamment Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer pour Amnesty France, qui n’hésite pas à dénoncer la large panelle de personnes pouvant être visées par cette loi et notamment que cela peut s’étendre aux associations. Elle pose même cette question : « Jeu pour le weekend : combien d’entre nous pourrait être fichés selon ces critères ? ».
Le XXIième siècle sera celui de la connaissance pour tous, mais différenciée, RGPD et interdictions de fichiers sur orientations sexuelles, politiques et syndicales pour les personnes privées et fichiers bien renseignés et tous moyens d’investigations légaux pour les autres.
Hier comme demain, Delenda est Carthago. Oui mais qui est Carthago ?