Le débat sur l’installation de crèches de Noël dans l’espace public par des collectivités territoriales et la laïcité est désormais annuel. Une nouvelle fois, la justice administrative va se pencher sur le cas de la mairie de Béziers. Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon, revient pour France-Soir sur la jurisprudence en cours sur la question.
Le débat sur l’installation de crèches de Noël dans l’enceinte d’édifices publics revient chaque année.
C’est la portée du principe de laïcité qui est en discussion. Celui-ci crée des obligations pour les personnes publiques, en leur imposant, d’une part, d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, et d’autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l’égard des cultes, en particulier en n’en reconnaissant, ni en n’en subventionnant aucun.
Comme chaque année Robert Ménard le maire de Béziers vient d’inaugurer une crèche dans la mairie, et l’État a saisi la justice administrative en référé pour l’enjoindre de la retirer au motif qu’il ne respecterait pas les principes de la loi de séparation des églises et de l’Etat de 1905.
Le Conseil d’État a déjà précisé dans le passé sa position sur cette question: en raison de la pluralité de significations des crèches de Noël, qui présentent un caractère religieux, mais sont aussi des éléments des décorations profanes, installées pour les fêtes de fin d’année, leur installation dans un emplacement public, est légale si elle présente « un caractère culturel, artistique ou festif », mais non si elle exprime la reconnaissance d’un culte ou une préférence religieuse (Conseil d’État 9 novembre 2016).
C’est donc à une appréciation au cas par cas auquel il faut se prêter.
Le Conseil d’État rajoute la précision qu’il convient de tenir compte du contexte dans lequel a lieu l’installation, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux et du lieu de cette installation.
Le tribunal administratif de Lyon a le 23 novembre 2018 donné satisfaction au président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, dans l’affaire des crèches de Noël installées dans l’espace public en décembre 2017. Les juges lyonnais ont considéré que, les crèches en question sont conformes au principe de neutralité en raison de leur « caractère culturel ».
En 2017, le président de région avait en effet créé une « exposition vitrine du savoir-faire régional des métiers d’art et traditions populaires » dans le but de « rendre hommage au savoir-faire et aux traditions des maîtres-santonniers régionaux ».
La décision du tribunal administratif de Lyon fait état « de deux grands décors de crèches présentant les métiers d’art et les traditions santonnières régionales dans des scènes pittoresques de la vie quotidienne, réalisés par un ornemaniste et un maître-santonnier drômois […] de quatre vitrines de crèches réalisées par des maîtres artisans et créateurs de santons haut-savoyard, altiligérien, ardéchois et cantalien. L’installation comprend également des panneaux illustrant le travail du santonnier à travers les étapes de la fabrication d’un santon. Enfin plusieurs ateliers ont été organisés pour la découverte des métiers d’art, à destination, en particulier, des enfants ».
De l’ensemble de ces éléments, les juges lyonnais en déduisent que l’exposition présente un « caractère culturel » valorisant l’artisanat, et non cultuel et religieux, et rejette par conséquent le recours de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen.
Il est à noter que le critère « d’usage local » érigée en la matière en novembre 2016 par le Conseil d’Etat n’a pas cette fois été pris en compte par la juridiction lyonnaise, en tant que critère impératif. Le tribunal administratif de Lyon semble même reconnaître le caractère culturel indépendamment de l’existence d’un usage local: « l’exposition litigieuse présente un caractère culturel, alors même qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’un usage consistant en l’exposition de crèches à la période de Noël existe en Auvergne-Rhône-Alpes ».
La jurisprudence est-elle sur le point d’évoluer sur ce point de l’usage local? Affaire à suivre.
A n’en pas douter, cette année encore, le conseil d’Etat sera amenée à se prononcer sur les crèches de 2018 et d’affiner sa jurisprudence.